17 mars 2014

Vénale et généreuse...

Aimer Hong-Kong, c'est comme tomber en amour avec une prostituée à la fois généreuse et vénale. Cette ville est attachante non pas malgré son commercialisme sans vergogne et sa luxueuse futilité, mais paradoxalement à cause d'eux.
Impossible de résister au charme trouble de cet amoncellement humain (7,5 millions d'habitants) d'autant plus spectaculaire qu'il se festonne en centaines de tours d'habitations, de commerce et d'affaires de trente à cent vingt étages, impossiblement accorchées aux flancs de collines abruptes autour d'un port encombré aux embranchements complexes et omniprésents, sous lesquels serpentent des kilomètres de tunnels autoroutiers. Et qu'il s'interrompt soudain pour laisser un étroit espace vital à un parc vert et fleuri, à un temple anachronique aux portes rouge sang d'où flotte un parfum d'encens, à une plage soigneusement peignée où s'ébattent des volées d'enfants, à un village ancien aux pierres craquelées et aux encorbellements absurdes idolâtrement préservés.
Sans trop le savoir, nous avions choisi probablement la meilleure formule, sinon la plus économique (!!!), pour faire connaissance avec Hong-Kong. Sitôt après le petit déjeûner vendredi, une confortable berline Mercedes noire et nickelée est venue nous cueillir à la sortie d'une gare maritime de Kowloon dont les rampes de débarquement sont habilement dissimulées derrière des dizaines de boutiques rutilantes de Van Cleef et Arpels, Longchamp, Jaeger LeCoultre et autres Giorgio Armani. Le chauffeur Ma Go ne parle ni français ni anglais, mais son compagnon, notre guide Sylvain (aussi asiatique que son nom ne l'est pas), a passé vingt ans de sa vie à Paris avant de revenir dans sa ville natale pour les beaux yeux d'une jeune Chinoise.
Le choix de la voiture même, quoique involontaire, n'était pas innocent. À mesure que la journée progressait, nous allions nous rendre compte que l'infini respect des locaux pour les signes extérieurs de richesse allait nous permettre de couper à travers des embouteillages et de pénétrer et de stationner dans des endroits auxquels n'auraient pas eu accès de simples mortels. Les Bums chromés, c'est nous autres!
Première étape, Victoria Peak. Sortant du mince à-plat de la rive nord de l'île même de Hong-Kong, une série de rampes acrobatiques et de lacets grimpe au flanc de la montagne encore verte, autrefois le quartier de résidence exclusif des riches colons anglais qui ont littéralement créé la ville au XIXe et pendant la première moitié du XXe siècles. C'est maintenant le fief des riches Chinois qui leur ont succédé... et aussi le point de vue incomparable d'où voir l'ensemble de l'ex-colonie. 
Un belvédère exubérant surplombe d'une part les voies du légendaire Peak Tram et de l'autre des volées de marches vertigineuses. Un grand tableau d'orientation prétend indiquer les principaux repères de l'île et de ses deux satellites de la terre ferme, Kowloon et les Nouveaux Territoires, mais je constate vite qu'il y manque plusieurs édifices majeurs. «Normal, commente Sylvain, la photo date d'il y a presque deux ans!»
Re-plongée dans la circulation urbaine pour traverser Central, le quartier financier par excellence, les marchés bousculés et odorants de Sheung Wan, les cafés et les galeries intello de Soho et le secteur «chaud» (maintenant plutôt boboïsé — dit-on) de Wan Chai.
Nous repartons, vers le sud, cette fois... et nous retrouvons soudain en pleine nature, comme si l'intense concentration urbaine derrière nous n'existait pas. Le port  d'Aberdeen offre ses fameux restaurants flottants sur son calme plan d'eau, où voisinent yachts luxueux et modestes bateaux de pêche comme échappés d'une autre époque. Des plages bien entretenues que longe une belle promenade sont presque désertes en ce matin de semaine.
Retour vers le nord par la côte est, avec un arrêt dans un marché populo (trois T-shirts, deux écharpes et deux sacs à main garantis contrefaits), et un long tunnel qui repasse sous le port vers Kowloon, où nous prenons des apéros exotiques au fabuleux bar de l'Intercontinental, dont le mur de verre haut de trois étages et large d'un coin de rue offre une vue à couper le souffle sur l'Île de Hong–Kong en face.
Contraste choc avec le restaurant au décor de bonbonnière férocement locale (nous y sommes les seuls non-Chinois sur une centaine de tables) où Sylvain a choisi de nous emmener déguster quelques dim sum et des vermicelles au porc en guise de lunch — il faut ménager, à grand-peine, notre appétit pour le souper gastronomique qui vient.
L'après-midi est aussi varié, prenant en sandwich une trépidante virée dans le délire commercial de Sham Tsui Po entre deux escales historiques et culturelles. D'abord, un paisible temple taoïste des Nouveaux Territoires, où nous nous joignons à des centaines de fidèles venus brûler de l'encens pour obtenir des dieux qu'ils exaucent leurs voeux les plus chers; je puis vous dire tout de suite que ça ne marche pas, mon voeu, de dénicher ici les introuvables cartouches d'encre couleur qui correspondent à l'imprimante Canon acquise il y a quelques semaines à Honolulu, sera cruellement déçu!
Après l'épuisante et vaine chasse aux cartouches dans un labyrinthe informatique multi-étagé de Kowloon, nous revenons dans les Nouveaux Territoires pour ce qui sera un des clous de la journée: un adorable village ancien fortifié, préservé on ne sait comment de l'époque où, il y a cinq cents ans et plus, Hong Kong était LE repaire de pirates et de trafiquants d'opium de la Mer de Chine. Il a été récupéré des pushers et drogués qui l'occupaient ces dernières décennies et transformé en un pimpant musée consacré au mode de vie populaire de jadis; le parc central, autour d'une petite pagode au charme discret, est traversé par une passerelle couverte qui zigzague au milieu d'arbres superbes et de statues stylisées, visiblement récentes, des animaux du zodiaque chinois.
À la suite de quoi Sylvain et Ma Go nous déposent à l'Ocean Terminal, à quelques pas (et quelques milliers de consommateurs frénétiques) de notre paquebot.
Azur s'écroule sur le lit en rentrant à la cabine. C'est certainement la journée la plus fatiguante qu'elle a connue depuis Tahiti et sa douloureuse chûte sur la tête. C'est donc à regret que j'irai seul ce soir au second «Special Event» où nous nous étions inscrits pour la croisière, un dîner gastronomique agrémenté d'un spectacle folklorique et d'un son-et-lumières dans un des restaurants les plus huppés de Hong Kong.
Après la très belle expérience de Bali, mes attentes étaient grandes... et elles ne seront pas réellement satisfaites. Le restaurant est situé dans un immeuble tout de marbre et de verre du quartier même où nous sommes accostés. Il est de la plus grande élégance et le service au-delà de tout reproche, mais la cuisine, quoique raffinée, est sans véritable surprise, simplement comparable aux meilleurs restos chinois que nous avons fréquentés à Montréal, San Francisco ou Paris.
Quant au spectacle, il est tout tape-à-l'oeil et clinquant, sans rien du charme imprévu et convivial des danseurs de Bali... et le son-et-lumières, assez grandiose il est vrai, est loin de la sophistication de ce que nous avons vu en France, notamment à Lyon. Azur peut se consoler en disant qu'elle n'a rien raté qu'elle ne pourrait voir ou goûter ailleurs.
Le samedi midi, après l'avoir déposée chez la coiffeuse du très bon Spa du Seabourn Sojourn, je ressors dans la foule encore plus dense du centre commercial hyper-bling-bling qu'est la gare maritime, et je repars en taxi vers un autre souk informatique que celui d'hier — puis un autre, puis un autre —, toujours en quête du saint-graal made in Canon. 
Je ne le trouverai pas, bien sûr (ce qu'on m'a fourgué, heureusement pas cher, est incompatible malgré les serments du vendeur), mais la balade seul, sans la «comfort blanket» d'un guide possédant la langue et les coutumes, est en soi une aventure qui me permet de me frotter bien plus directement avec le pire et le meilleur de Hong-Kong. Et qui me conforte dans le sentiment étonnamment favorable qu'elle m'inspire. Rien à regretter.

1 commentaire:

Unknown a dit...

Merci encore et encore de ces descriptions concrétes que notre imaginaire s'appropri et nous fait voyager !!! Azur a combien de sacs vuitton et de chanel ? Dommage que Marine ne vous ait pas rejoint ! Bises à tous les deux !