13 mars 2014

Cousins de Bornéo et déserteurs de Hong Kong

Depuis hier midi, une mer d'huile, incongrue en plein milieu de l'Océan Indien, invite à la paresse. Ça fait trois fois que j'entreprends le prochain chapitre du blogue, sur la visite aux orang-outangs du nord de Bornéo, et chaque fois je trouve de bonnes excuses pour laisser tomber et me prélasser dans le transat de mon balcon, face à un horizon tracé à la barre parallèle...
Mais puisqu'il le faut...
Du large, le port de Sandakan fait modeste bourgade de pêche, malgré la présence paradoxale de quelques tours de dix à vingt étages perchées derrière un village de petites maisons multicolores bâties sur pilotis à côté d'une plage sur laquelle sont tirées des barques étroites et pointues.
Nous accostons à la seule installation portuaire digne de ce nom, une plate-forme bétonnée reliée à la rive par une passerelle soutenant une autoroute encore en travaux. Un orchestre de tambours et vibraphones accompagne une danseuse dorée sur tranche pour nous souhaiter la bienvenue face à la petite gare maritime.
Une fois les formalités de douane accomplies (nous sommes passés de l'Indonésie à la Malaisie), un quatuor de cars de tourisme vient nous cueillir sur le quai même, pour nous emmener vers l'intérieur, au Centre de réhabilitation des orang-outangs. Non, je ne blague pas: cette curieuse mais sympathique institution a pour mission de recueillir les petits quadrumanes orphelins ou blessés et de les former à la vie en forêt, pour qu'ils puissent y rejoindre éventuellement leurs congénères...
L'orang-outang a la double particularité d'être le seul grand singe non africain (on ne le trouve qu'à Sumatra et Bornéo) et l'animal dont l'enfance est la plus longue. Les petits demeurent accrochés aux «jupes» de leur maman jusqu'à 6 ou 7 ans, incapables de survivre par eux-mêmes. Et même s'ils passent la quasi-totalité de leur vie dans les arbres, ils sont aussi nos plus proches parents du règne animal, partageant plus de 96% de nos chromosomes.
Toujours est-il qu'après trois-quarts d'heure de route, nous descendons au bureau d'accueil du centre, d'où une série de passerelles de bois nous font zigzaguer à travers une forêt absolument somptueuse jusqu'à un observatoire construit face à deux espèces de balcons juchés dans les arbres, où descendent de longs câbles provenant des quatre coins de la jungle environnante.
Après un petit quart d'heure, une boule de fourrure d'un roux spectaculaire apparaît entre les branches et se décompose en une sorte d'adolescent déginguandé qui longe nonchalemment un des câbles vers ce qui sont en fait des points d'alimentation. Deux autres le suivent bientôt, attendant en se balançant entre deux troncs que le préposé daigne bien leur apporter leur ration bi-quotidienne de bananes ou de pastèques.
Ils descendent alors s'accroupir sur la plate-forme et se nourrissent, totalement insensibles aux dizaines de caméras et d'appareils-photo qui les fusillent sans arrêt.
Une fois le repas fini, deux d'entre eux reprennent leur route aérienne et disparaissent de notre vue, tandis qu'un petit macaque gris vient rejoindre le troisième pour profiter des restes. 
Nous nous groupons à la sortie de l'observatoire pour prendre le chemin du retour quand le dernier des orang-outangs, facétieux, décide de changer de rôle: il se laisse tomber de son câble sur la main-courante de la passerelle que nous allions emprunter, et encouragé par les cris et les applaudissements des plus jeunes du groupe, se met à jouer au guide forestier, nous menant gentiment et fort adroitement vers la sortie. Ce n'est qu'à la vue des barraques du centre d'accueil qu'il nous fausse compagnie le long d'une liane opportune...
Pendant le long retour vers les quais, notre (vrai) guide nous explique que Sandakan, ancienne capitale du Sabah, le tiers de Bornéo qui appartient à la Malaisie, a été entièrement détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, et malgré sa croissance récente — plus de 300 000 habitants — , n'a jamais retrouvé son ancienne importance. D'où son caractère de ville-champignon, mêlant aux immeubles modernes de petites structures plus traditionnelles, notamment ces quartiers sur pilotis, que les autorités s'efforcent en vain de démolir, face à une résistance acharnée des résidants, qui tiennent à cet habitat ancestral.
Nous reprenons ensuite la mer pour trois longues journées jusqu'à Hong Kong, notre point d'entrée sur le continent asiatique, où environ la moitié de nos compagnons de voyage vont nous quitter. Comme toujous en croisière, de nombreuses amitiés se sont liées depuis le départ de Los Angeles, et les scènes d'adieux, souvent émues, se mêlent aux promesses plus ou moins sincères de futures retrouvailles.
Nous prenons un dernier repas gastronomique dans l'intime «Restaurant 2» avec nos amis Ron et Tom, universitaires d'Oakland cultivés qui parlent un fort bon français. Nous perdons aussi trois sympathiques Suisses de Genève et deux couples de retraités français de la région de Nantes. De fait, à moins d'un apport imprévu dans le lot de passagers qui s'embarquent samedi à Hong Kong, les Suisses de Neuchatel, Esther et François, seront avec nous les seuls francophones restant à bord...

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