09 mars 2014

La marche au dragon

Les appeler dragons est sans doute un peu excessif... Il n'en reste pas moins que les varans, tout derniers des dinosaures qui ne se trouvent que sur Komodo et deux autres petites îles de la Sonde, sont des bêtes impressionnantes. 
On ne peut leur rendre visite qu'en effectuant une assez longue excursion à pied (ô mes vieilles jambes!), bien encadrée par des guides officiels. En effet, ces lézards géants vivent en liberté dans les forêts de l'île; féroces carnivores, ils se nourrissent des proies qu'ils chassent, seuls ou en groupes: cochons sauvages, daims, buffles d'eau... et même leurs propres petits. Les précautions ne sont donc pas inutiles.
En débarquant de la navette, nous avons immédiatement été pris en charge par des «rangers» qui nous ont séparés en petits groupes d'une vingtaine de personnes. Après un laïus moitié d'explications, moitié de consignes de prudence et de sécurité, nous nous sommes mis en marche sur des sentiers primitifs, mais bien balisés, chaque groupe précédé et suivi d'un garde aux aguets, armé d'un long bâton fourchu. Face à l'évidente difficulté de l'expédition, Azur avait décidé, sagement, de m'attendre sur la plage.
Trois étapes d'une demi-heure à bonne allure, entrecoupées de pauses meublées d'information sur la faune et la végétation — palmiers, fougères géantes, lianes tordues, orchidées parasites — , nous ont amenés à quelques mètres d'un point d'eau autour duquel se prélassaient lourdement quatre ou cinq monstres, dont deux femelles.
Plus costauds et plus vifs que les alligators, mesurant jusqu'à trois mètres et pesant dans les 125 kilos, les adultes peuvent se déplacer sur terre à plus de 15 km/h et dans l'eau à deux fois la vitesse d'un bon nageur, et leur morsure est mortelle. 
Ils ont survécu ici tant bien que mal, personne ne sait trop pourquoi ni comment, lorsque tous leurs cousins ont été rayés de la surface du globe il y a plus de 60 millions d'années. Ils ont failli disparaître eux aussi au milieu du 20e siècle, victimes de la chasse que leur faisaient les zoos du monde entier et des stratégies agricoles des habitants.
Le gouvernement indonésien les a sauvés de justesse alors qu'il n'en restait que quelques centaines, en transformant leur habitat en réserve naturelle. Grâce à cette mesure, il en existe aujourd'hui quelque 8000, dont la moitié à Komodo. Les femelles pondent jusqu'à une trentaine d'oeufs, qui éclosent au bout de neuf mois. Mais le taux de survie des bébés, face à la difficulté de se nourrir et à leurs ennemis naturels (dont leurs propres parents!) est faible: à peine deux pour cent se rendent à l'âge adulte.
Leur aspect est assez inquiétant: un long corps vert-brun aux courtes pattes griffues surmonté d'une petite crête, un muffle plat, allongé, bordé de dents apparentes, une longue et étroite langue fourchue rouge clair qu'ils projettent et retirent rapidement devant eux — c'est probablement la source de la légende voulant que les dragons crachent le feu...
Nous avons passé un bon quart d'heure à les examiner et les photographier sous toutes les coutures... mais à prudente distance, tandis qu'ils nous regardaient l'air plutôt blasé. Puis nous avons poursuivi notre chemin pour retourner à la plage... où semblaient nous attendre la majorité des quelque 1800 habitants de Komodo devant des étals de bracelets, tissus, T-shirts et sculptures — de dragons, évidemment.

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