Lundi, après un petit déjeuner bon et costaud les pieds dans le sable, nous avons pris une voiture pour l'excursion quasi obligée vers Joal-Fadiouth. Mais en l'absence presque complète d'autres touristes, la virée en vallait la peine. Entre le pont de bois de plus de 500 mètres sous un soleil lourd et l'exercice d'équilibrisme sur une ètroite pirogue traditionnelle creusée dans un seul tronc d'arbre, Azur a choisi... la sécurité d'une table à la terrasse du Finio, où nous venions de déguster un délicieux porcelet à la broche et sauce relevée à l'oignon.
Je suis donc parti seul avec mon guide, un jeune diplômé d'hôtellerie du nom d'Emanuel (la région est majoritairement chrétienne) vers l'île de Fadiouth. Celle-ci est une structure entièrement artificielle, bâtie sur un
amoncellement de minuscules coquillages accumulés là depuis des siècles par les habitants du bourg en face. Elle abrite aujourd'hui, sur une superficie d'à peine 12 hectares, un village
d'environ 6000 personnes, presque toutes catholiques comme en fait foi une immense église moderne au centre (il y a aussi une mosquée, mais plus modeste).
Nous nous sommes baladés dans les rues étroites où l'on trouve à tous les dix pas des vendeuses de coquillages (quoi d'autre!) et d'artisanat divers. Un peu partout, des gamins et gamines décortiquaient les petites coques, très comestibles, qui ont donné naissance au village.
Un autre pont nous a menés à la seconde curiosité du lieu, un ilôt secondaire tout aussi artificiel, qui tient lieu de cimetière partagé entre chrétiens et musulmans -- c'est le seul au pays et l'un des rares au monde, m'affirme fièrement Emanuel. Dû à l'espace exigu, la pratique d'enterrement est spéciale: chaque défunt est enseveli au pied d'une croix (ou d'un panneau pour les musulmans) de bois, sous un monceau de coquillages. Lorsque celui-ci s'est affaissé jusqu'au ras du sol environnant, c'est signe qu'on peut enterrer un autre mort par-dessus!
De la petite butte au sommet du cimetière, jolie vue d'une part sur l'île-village de Fadiouth, de l'autre sur ses curieux greniers à mil, des paillottes bâties sur pilotis au milieu de la lagune. Et dans la direction opposée, la jetée surmontée d'une route poudreuse qui mène aux champs des villageois sur la terre ferme.
Retour en périlleuse pirogue (ça fait partie du forfait) à Joal où nous attendaient Azur et le chauffeur.
Mardi, nous décidons de nous abstenir de participer à la Fête du Mouton et restons à nous reposer au Tama Lodge, où j'en profite pour prolonger une délicieuse baignade dans une mer fraîche mais bien calme. Le chef lyonnais (qui a passé quelques années à Montréal dans un resto de la rue Saint-Denis) et ses assistants ont concocté un menu de côtelettes d'agneau et de gigot, pour respecter l'esprit du jour. Je passe une bonne heure à explorer le véritable musée d'art africain qu'est notre suite "royale".
Hier, nous avions prévu simplement le retour à Dakar en compagnie de Habib, venu nous chercher avec la voiture de Pape. Mais au dernier moment, sur le conseil du patron du Tama Lodge, nous faisons un détour par la réserve de Bandia, à mi-chemin de notre route. Bien nous en prend, car la visite demeurera comme un des grands moments de notre séjour sénégalais.
Le parc, qui fait environ 1500 hectares aménagés, abrite une extraordinaire variété d'animaux en liberté, du rhinocéros à de jolis mais craintifs renards, en passant par des giraffes, des hippopotames, des crocodiles
et une belle variété de gazelles et autres cervidés. Un guide expérimenté et sympathique nous balade le long de pistes à peine tracées, au hasard desquelles nous apercevons, souvent de très près, des individus de la plupart de ces espèces.
Seul le capricieux rhino se laisse désirer, malgré les méritoires efforts de notre guide pour le suivre à la trace. Son absence est bien compensée par un bon quart d'heure passé à communier avec une paire de giraffes qui se laissent approcher presque à les toucher, se contentant de nous lorgner de bien haut tout en bouffant des feuilles d'eucalyptus à quatre mètres du sol.
Nous nous arrêtons pour une pause-photo au pied du très bizarre "arbre aux griots". C'est un gigantesque baobab (dont les fruits, en passant, s'appellent "pain de singe") à la base duquel se trouve le "cimetière des griots" dont les crânes, tout blancs et bien nettoyés, sont exposés à la vue -- et bien visibles dans la photo. Une superstition locale voulait qu'enterrer un griot (troubadour local doté de qualités magiques) porte malchance, c'est pourquoi on plaçait leurs corps au-dessus du niveau du sol, dans les racines de l'arbre. Une coutume qui n'a pris fin que dans les années 1960...
Le restaurant du parc est sans doute un des seuls endroits au monde où vous pouvez manger une excellente cuisine dans l'intimité de quatre ou cinq crocodiles qui passent le plus clair de leur temps à se dorer au soleil, en face de votre table. Cela, jusqu'à ce qu'un convive lance à l'eau quelques miettes de pain. Sitôt que quelque malheureux poisson monte du fond de l'étang pour s'en emparer, un des crocos fonce dessus comme une torpille, ouvrant sa gueule à la toute dernière seconde pour le happer. J'aurais bien voulu vous montrer ça en photo, mais le mouvement est si rapide que je n'ai jamais réussi à le saisir. Vous vous contenterez donc d'un crocodile au repos!
Entre-temps, après avoir consulté nos amis d'ici et communiqué avec l'Ambassade du Mali, nous nous sommes rendu compte que le projet d'une virée impromptue à Bamako et Tombouctou manquait de réalisme; il aurait fallu planifier ça un bout de temps d'avance. Nous convenons donc de raccourcir de quelques jours notre séjour, et en conséquence nous installons immédiatement à la Madrague, l'auberge de Ngor qui nous avait charmés, pour nos quatre ou cinq derniers jours sénégalais.
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