Le court séjour à Montpellier s'est passé agréablement, malgré la fraîcheur et le temps incertain des premiers jours. Dès le retour du soleil, nous sommes allés prendre un apéritif sur la Place de la Comédie, où nous avons retrouvé le copain algérien Fethi, guitariste de rue émérite, qui s'est immédiatement fendu de nos airs préférés: 2e mouvement du concerto d'Aranjuez, Jeux interdits (Yepes) et une chaconne de Fernando Sor, avant de venir déguster une bière avec nous à la terrassse du café "les Trois grâces", son quartier-général habituel.
Une fois résorbé l'effet du décalage horaire, nous nous sommes baladés à travers la ville en tramway et en bus, avons pris un taxi vers la mer pour longer les plages quasi désertes de Palavas-les-Flots et de Carnon, et nous avons renoué avec quelques-uns de nos restos préférés -- en particulier la somptueuse sole meunière de la Brasserie du Théâtre et les plus prolétaires moules à la belge de la brasserie Chez Félix, Place Jean-Jaurès.
La télé et les journaux français partageaient leurs manchettes entre l'élection d'Obama et les déboires du Parti socialiste local. Sur le premier thème, la réaction d'enthousiasme commune à presque toute l'Europe et au reste du monde était entachée d'un certain embarras, le régime en place ayant joué jusqu'à la limite la carte Bush et néolibérale (avec quelques bémols vers la fin). Sur le second, personne n'osait se réjouir trop ouvertement de la décomposition de ce qui aura quand même été un grand parti de gauche modéré pendant un tiers de siècle; à moins d'un renversement de vapeur bien imprévisible pour l'instant, la réélection de Sarkozy est assurée... et elle risque d'être catastrophique pour le pays, à l'image de ce qu'aura été celle de son idole G. W. Bush pour les États-Unis. Même certains analystes de droite commencent à s'en inquiéter.
C'est avec un mélange de regret et d'anticipation que nous avons repris mardi dernier le TGV vers Paris, où nous allions passer trois ou quatre jours avant de nous envoler vers l'Afrique. Azur tenait mordicus à une dernière séance chez son coiffeur chouchou, Marc (rue de Longchamp), dont l'assistante est paraît-il la seule à savoir discipliner sans l'abîmer sa crinière rétive. Moi, il me fallait compléter ma garde-robe tropicale, car je m'étais rendu compte que presque tous mes vêtements légers étaient en Martinique, à bord du Bum chromé!
Il s'agissait aussi d'acheter quelques présents pour les amis sénégalais Pape et Oumou: pour elle, un assortiment complet de produits de l'Occitane, emballé dans un très joli coffret-cadeau, et une collection de revues de mode et journaux à potins artistiques; pour lui, une véritable bibliothèque de référence sur Barack Obama (livres, revues et magazines d'actualité) et un appareil-photo numérique à l'épreuve de l'eau, du sable et des chocs, fait sur mesures pour le climat africain. Par la même occasion, Azur s'est dotée d'un minuscule ordinateur-bijou de la dernière génération, un Asus tout blanc bien équipé mais aussi léger que peu encombrant, idéal pour le voyage. Heureuse inspiration, car le Macintosh portable sur lequel je comptais pour le séjour en Afrique m'a laissé tomber dès le second jour du voyage. Du coup, le joujou de Madame obtenait le statut de lien principal avec le reste du monde!
De fait, nous n'avons vu personne de nos amis parisiens, nous contentant de salutations téléphoniques. La seule exception a été un déjeûner gastronomique au Passiflore, le restaurant étoilé de Roland Durand, à qui j'avais promis lors d'un précédent passage une bouteille d'un rhum martiniquais unique: un DePaz XO "cuvée du centenaire" uniquement disponible à Saint-Pierre, à la distillerie même, qu'il a reçu avec les égards appropriés. En retour, il nous a servi ses fameuses ravioles de homard en mulligatawny et une originale tête de veau aux saveurs exotiques, suivies d'une ferme mais juteuse palombe rôtie aux arômes de figue fraîche, le tout accompagné d'un beau bourgogne de son choix.
Enfin, samedi midi, en route vers Roissy où nous nous allons nous embarquer sur le vol Air France 718 Paris-Dakar. Étant surclassés en première (grâce aux bons soins de notre agence de voyage canadienne, merci Monique!), nous avons droit au plein traitement VIP. Au lieu de faire la queue au comptoir comme le vulgum pecus, nous sommes guidés en douceur par une blonde hôtesse vers un "salon d'enregistrement" où nous n'avons qu'à remettre billets et passeports aux préposés qui se chargent de tout, y compris d'étiqueter et de manipuler nos bagages.
On nous escorte ensuite à travers une série de passages privés (où, miracle, il n'y a ni douaniers, ni policiers, ni fouille de sécurité) dans une partie réservée du salon d'attente, où nous nous abstenons à regret de picorer dans un buffet très "nouvelle cuisine" arrosé de vins fins et d'un vaste choix d'alcools. Quelques minutes à peine avant le décollage, une seconde hôtesse vient nous rapporter billets et passeports avant de nous amener prendre nos sièges à bord.
Pour tous ceux qui n'auraient pas encore eu l'occasion de goûter aux délices du nouvel "Espace Première", une courte description s'impose. La première classe, sur les moyens-courriers d'Air France, comporte au plus une douzaine de places, chacune étant délimitée par un cocon en forme d'oeuf au coeur duquel un grand fauteuil peut s'étirer entièrement à l'horizontale, formant un véritable lit (pyjamas et douillette fournis, s'il vous plaît). Chacun a son propre compartiment à bagages, un vaste tiroir vide-poches et même une banquette dotée d'une ceinture de sécurité pour accueillir les éventuels visiteurs! Sans compter bien sûr une étagère à journaux garnie, un écran plat de télé escamotable, un plateau à boisson, trois éclairages (plafond, liseuse et veilleuse) et une grande table amovible pour le dîner. Service et prestations sont à la hauteur, un steward et deux hôtesses s'occupant en exclusivité de notre confort, le couvert et le menu étant dignes d'un restaurant de grand hôtel.
Nous en regrettons presque que le vol ne dure que six heures, d'autant plus que dès l'aterrissage à l'aéroport de Yoff, le registre change du tout au tout. Retour brutal à la réalité d'une descente en vrac sur le tarmac, d'un autocar bondé vers l'aérogare et, surtout pour Azur donc c'est la première expérience du genre, du brusque contact avec l'oppressante foule anarchique des espaces publics africains.
Dans la chaleur moite et l'odeur poussiéreuse et épicée qui succèdent à la clim presque trop fraîche de l'avion, on se bouscule pour pénétrer dans la salle d'immigration, où nous nous rendons compte qu'il faut remplir un long et tâtillon formulaire d'arrivée -- personne ne nous avait prévenus, évidemment, et nous en perdons notre place prioritaire dans la file. Heureusement, les policiers sont polis et compréhensifs, la proverbiale gentillesse sénégalaise primant sur leur autoritarisme de fonctionnaires imbus de leur pouvoir.
Une fois cet obstacle franchi, le tapis d'arrivée des bagages est inaccessible derrière une masse compacte d'"assistants", de "guides" soi-disant officiels et de porteurs auto-désignés dont chacun porte un badge aux allures impressionnantes mais probablement de fabrication maison. Il faut lutter pied à pied pour nous emparer de caddies, les arracher presque brutalement des mains "secourables" qui se tendent de toutes parts et les guider centimètre par centimètre jusqu'aux abords du tapis où les valises déboulent sans la moindre attention aux priorités fixées par la ligne aérienne.
Nous parvenons tout de même à récupérer les nôtres, moi plutôt amusé de ce tohu-bohu que j'avais oublié, ma compagne nettement plus nerveuse et même insécure. Nous nous frayons ensuite un chemin vers la sortie, après un rapide détour vers un "bureau de change" improvisé, caché au fond de la boutique exiguë d'un vendeur de souvenirs qui transforme quelques euros en francs CFA à un taux des plus fantaisistes (à son avantage bien sûr). Azur est un peu scandalisée que je me sois laissé ainsi arnaquer, mais comme je m'y attendais et qu'en conséquence je n'avais sorti de ma poche qu'un montant minime, il n'y a pas grand dommage.
Je "récompense" un peu l'auto-préposé à l'accueil qui avait tenu à nous accompagner à travers le passage (sans douleur) à la douane, seule façon de nous en débarrasser. Il faut ensuite affronter la cohorte vociférante et serrée des chauffeurs de taxi et de leurs rabatteurs, à qui j'ai beau expliquer qu'une voiture doit venir nous prendre de l'hôtel, rien n'y fait. Chacun, en effet, se prétend notre chauffeur désigné en tant que cousin par alliance du beau-frère du réceptionniste du Lagon 2.
Par bonheur, je trouve l'argument massue pour leur clouer le bec: "Si l'hôtel vous a envoyés pour nous prendre en charge, vous connaissez évidemment notre nom. Alors, comment je m'appelle?" Grand silence soudain, échange de regards consternés. Encore une fois, la gentillesse nationale prend le pas sur la rapacité, et deux d'entre eux nous indiquent l'endroit où, habituellement, les chauffeurs des navettes d'hôtels attendent leurs passagers. Effectivement, au bout de deux minutes de recherche, j'aperçois une affichette tendue à bout de bras par un jeune homme, "Leclerc - Lagon 2". Cette fois, c'est clairement le bon.
Un long zigzag à travers l'encombrement et les stridents klaxons des voitures et des taxis qui bloquent la sortie nous amène au stationnement où se trouve le minibus de l'hôtel, propre et confortable. Un bout d'autoroute (que je reconnais à peine) jusqu'à un rond-point menant vers la route de la Corniche, et nous nous retrouvons assez rapidement à la porte de notre pied-à-terre dakarois, assez curieusement invisible de la route: il a été construit en contrebas sur pilotis, surplombant la baie de Dakar dont les longues et lentes vagues, passant directement sous notre chambre, berceront notre première nuit africaine.
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