31 janvier 2014

Ah! Nouvelle-Zélande...

Dans un voyage, bien des étapes ne vous réservent aucune surprise; elles correspondent plus ou moins à ce que vous aviez imaginé, en bien comme en mal. D'autres vous déçoivent. Je n'oublierai jamais l'air dépité de Marie-José quand elle s'est rendu compte que les pyramides de Gizeh, loin d'être enchâssées dans les dunes du désert, étaient en réalité prisonnières des tristes tours d'habitation d'une banlieue bruyante du Caire.
Parfois enfin — et c'est pour moi l'essence même du plaisir de voyager —, tout se conjugue pour créer l'émerveillement dans un lieu dont on n'attendait rien. C'est ce qui nous est arrivé à Auckland.
Tout a commencé quand, par le petit matin frisquet et venteux, je suis sorti sur le pont du dixième pour assister à l'entrée dans l'immense rade parsemée d'îles basses mais remarquablement variées. L'agglomération urbaine se dressait en quasi-silhouette dans le soleil à peine levé, puis découvrait peu à peu son relief particulier à mesure que nous approchions du port de commerce, niché en plein coeur du centre-ville entre deux marinas où se balançaient des centaines de mâts de voiliers.
Après un petit déjeûner assez tardif, voyant que le soleil avait réchauffé le temps, nous sommes descendus à terre prendre au hasard un taxi que conduisait un charmant et calme Coréen. Dans cette ville relativement jeune, peu de grands monuments ou de sites grandioses, mais une succession de parcs paisibles et de beaux quartiers dispersés en longueur entre deux étendues d'eau, au hasard d'un relief assez accidenté.
Notre chauffeur, après nous avoir offert la vue d'ensemble spectaculaire depuis les bords du cratère de l'ancien volcan de Mount Eden, nous a baladés en douceur dans des rues vertes et ombragées, qui grimpaient et plongeaient sur les flancs de la vingtaine d'autres collines d'origine volcanique, parsemées de coquettes maisons coloniales très «british» aux jardins semi-tropicaux soigneusement manicurés.
Puis nous avons traversé le grand pont qui enjambe le port et la baie vers Northland, pour aller flâner dans le vieux quartier de Devonport, un des lieux de naissance de la ville avant qu'elle ne s'étende surtout sur l'autre rive. Un «village» qui n'est pas sans rappeler à la fois la partie riveraine de Sausalito face à San Francisco et les plus jolis coins de notre Outremont montréalais, mais avec un charme à l'anglaise d'autant plus marqué qu'il est dénué du snobbisme qui l'accompagne souvent. Au contraire, Auckland baigne dans une atmosphère détendue, où tout se fait sans hâte, avec une civilité bon enfant.
Retour vers le centre-ville, avec le détour obligé vers le solennel City Museum, pour aboutir sur le délicieux square qui borde la cathédrale catholique St. Patrick's. Sans grandes attentes, nous entrons dans ce qui est réputé comme un des meilleurs restaurants de la ville, The Grove. Tables classiquement dressées en blanc dans un décor élégant s'étirant en camaïeu de beiges et de bruns jusqu'à une petite salle aux immenses fenêtres donnant sur un parterre ombré. Une demi-douzaine de tables sont occupées.
Première surprise, notre hôtesse et serveuse, nous entendant parler français, s'adresse à nous dans notre langue avec un accent cultivé mais typiquement québécois. Probablement pakistanaise d'origine, elle a été élevée à Saint-Lambert avant de se retrouver en Nouvelle-Zélande depuis quatre ans. Pour compléter ce dépaysement à rebours, nous avons comme voisins une famille de Vietnamiens francophones venus de Tahiti, dont la timide mais remuante gamine a vite gagné le coeur de Marie-José.
Le menu abonde en énoncés originaux, promettant des combinaisons de saveurs peu communes — mais en soi, dans un établissement de cette classe, ça ne veut pas dire grand-chose. Un premier plaisir inattendu vient avec l'apéritif, dans une soucoupe d'olives presque chaudes qui rappellent, en plus charnu, les délicieuses picholines de Montpellier.
Le «cannelloni of crayfish with goat cheese» d'Azur embaume... et le palais, quand elle y goûte, tient avec finesse toutes les promesses du nez. Quant à mon «bavarois d'huîtres» aérien accompagné d'une gélatine de crevettes recouverte d'une carapace de lamelles de pieuvre marinée, c'est du grand art.
Nous nous regardons, interloqués. Ces entrées, servies avec une gentillesse sans prétention, sont du niveau des meilleures tables que nous avons fréquentées en France, et nous serions en peine de leur trouver un équivalent à Montréal. Pas possible que la suite soit à la hauteur?
Nous avons la réponse lorsque nous parviennent la perdrix au four sur lit de bettes en purée et d'épinards de ma compagne et mon canard croustillant en deux façons, poitrine en magret et cuisse pressée avec haricots verts aux lardons grillés. Le volatile désossé d'Azur offre une tendre chair presque rosée enrobée dans une peau craquante mince et diaphane, couleur de caramel. Quant au mien, il dépasse toutes mes espérances, un cran même au-dessus du caneton de Challans de Manuel Martinez, jadis chef de la Tour d'Argent à son heure de gloire! Nous dégustons avec délice, dans un silence pratiquement religieux, en sirotant un pulpeux Destiny Bay 2006, excellent rouge du pays à base de cabernet-sauvignon.
Pour une fois, Azur refuse le dessert (je pense qu'elle a peur d'être déçue au dernier moment) et c'est moi qui me risque à prendre un soufflé à la rhubarbe qui pique ma curiosité. Et qui se fait espérer pendant un long quart d'heure... mais il ne perdait rien pour attendre. Comme notre copine-serveuse le sert avec deux cuillers (et un sourire en coin), je suis presque obligé de me battre pour en avoir ma part. Moëlleux comme pas possible, parfumé mais légèrement sûr, flanqué d'un délicat sorbet au citron vert, c'est un péché majeur... et un digne couronnement à l'un des meilleurs repas que nous ayons pris depuis des années.
Comme dit M. Michelin, «vaut le détour»... l'ennui étant, bien sûr, que ce détour-là se chiffre à une bonne bonne vingtaine de milliers de kilomètres, que ce soit de Montréal ou de Paris! Mais une fois sur place, hein?

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