19 janvier 2014

Aloha!

Mardi 14 janvier — Mardi midi dernier, le Restaurant nous a servi de loin notre meilleur repas à bord jusqu'ici. Avocat au crabe tendre comme du beurre frais en entrée, puis un fabuleux turbot délicatement poêlé, sauce au citron et aux fines herbes, sur un nid de risotto au mascarpone et petits pois. Avec un chassagne-montrachet délectable, que demander de plus? Bien, un tiramisu de légende en finale avec un verre de porto Taylor LBV 1998.
Mercredi soir, un autre coquetel huppé (complet veston de rigueur) réservé aux passagers qui effectuent le trajet complet de Los Angeles à Venise. Nous sommes peut-être une centaine, incluant un couple de francophones (Suisses?) et une gentille dame rondelette qui se rappelle de nous depuis la croisière en Norvège et autour de la Baltique il y a six ou sept ans. Et un autre couple floridien qui en est à sa quatrième croisière autour du monde! Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt de cette répétition, ils ne doivent pas savoir quoi faire dans la vie... d'autant plus qu'ils n'ont pratiquement rien de vraiment original à raconter de tout ça.
L'apéro se prolonge en un fort bon souper à la Colonnade, où nous nous retrouvons encore une fois à la table de la charmante Sophie, en compagnie du rabbin de bord, sympathique et cultivé: il avait choisi de réciter, comme texte de réflexion sur notre début de croisière... un extrait de Saint-Exupéry.
Vendredi matin, terre! Je m'étais levé tôt dans l'espoir de voir apparaître à l'horizon la silhouette d'Hawaii. En vain: au lever du soleil la «Grande Île» qui a donné son nom à l'archipel était déjà bien visible devant nous.
J'ai eu juste le temps de réveiller Azur pour monter au bar du 10e assister à l'arrivée dans le port de Hilo, notre toute première escale depuis Los Angeles. L'approche est spectaculaire, la côte dominée par le cône brun stratifié de beige et de noir du volcan (endormi) Mauna Kea, plus de 4200 mètres au-dessus du niveau de la mer; c'est même, si on le mesure à partir de sa base sous-marine, la plus haute montagne du globe, dépassant l'Everest de plusieurs centaines de mètres. Son jumeau, le Mauna Loa, presque aussi élevé, est toujours actif de l'autre côté de l'île.
Celle-ci est assez grande (au moins le double de la superficie de la Guadeloupe mais le tiers de sa population), très accidentée et plutôt sauvage en-dehors de quelques grandes plantations jadis prospères mais aujourd'hui somnolentes. Elle a longtemps été la capitale de l'archipel, avant d'être supplantée par Oahu, plus petite mais jouissant du triple avantage d'être plus centrale, plus habitable et dotée d'un havre exceptionnel, Pearl Harbour. Cela n'empêche pas Hilo d'être demeuré un port commercial très actif.
Nous avons choisi une excursion au Parc national des volcans hawaiiens, dont la pièce maîtresse est l'immense caldera du volcan effondré Kilauea. Même si la prétention qu'il s'agit du seul volcan actif au monde qui se visite sans descendre de voiture est inexacte (la Soufrière de Sainte-Lucie aux Antilles est dans le même cas), c'est quand même un phénomène extraordinaire. Les trois plus belles étapes:
a) Le centre d'observation du cratère principal, une gigantesque cuvette ovale au fond de laquelle bouillonnent des étangs de lave liquide dont les reflets colorent de mandarine et d'orange les murailles de roc sombre qui l'entourent et les multiples fumerolles qui en émergent. À côté, le petit mais très pédagogique musée Jaggar montre et explique les spécifités des volcans hawaiiens «lents» — leurs éruptions durent généralement des mois, parfois des années et même des décennies; celle qui est en cours a débuté en 2004.
b) Une balade assez athlétique mais fascinante sur un champ de lave durcie noire ou brun roux, tantôt lisse comme une route bien pavée, tantôt déchiré de crevasses et hérissé de blocs aux bords coupants comme du verre et aux formes tarabiscotées. Ici et là, contre toute vraisemblance, parviennent à pousser de jolies fleurs roses et blanches aux feuilles d'un vert tendre, offrant avec la pierre sombre un contraste délcieux.
c) Une descente vertigineuse d'une trentaine de mètres (ayoye les vieux genoux) au fond d'une crevasse ornée d'immenses fougères arborescentes dont les troncs s'entrecroisent en complexes faisceaux. Un court sentier et une passerelle nous font pénétrer dans un «lava tube», un très curieux et tortueux tunnel de deux ou trois mètres de diamètre par plus de 200 mètres de long. Il s'agit en fait d'un artefact volcanique: pendant qu'une coulée de lave descend vers la mer en suivant un creux du terrain, la surface exposée à l'air se refroidit et durcit beaucoup plus vite que l'intérieur. Si bien que lorsque l'éruption prend fin, celui-ci continue de s'écouler, laissant derrière lui un boyau caverneux souvent assez vaste pour qu'on le parcoure à pied. Spectaculaire.
Seul aspect moins agréable de la journée, notre guide, un authentique Hawaiien chaleureux et passionné... mais intarissable. Pendant toute la partie du trajet effectuée en autocar, près de trois heures, il n'a pas cessé de jacter, ne nous donnant aucune chance de regarder tranquillement autour de nous ni même de digérer ce qu'il disait! J'enviais même ma compagne de ne pas comprendre l'anglais...
Samedi, une courte navigation nous a emmenés à Lahaina, sur l'île voisine de Maui. La vieille partie de l'ancien petit port baleinier éparpille ses maisons de couleurs vives décorées de «gingerbread» blanc autour d'un petit parc dont les arbres projettent et nouent dans tous les sens leurs troncs et leurs branches énormes et tordus, créant un décor fabuleux qu'on pourrait croire dû aux délires informatiques d'un Pixar local.
Sitôt à terre, on nous embarque sur un voilier catamaran d'une cinquantaine de pieds pour une excursion dans le lieu de rassemblement des baleines à bosse, jadis la source de richesse de l'île et maintenant une espèce protégée. Azur et moi retrouvons avec plaisir un environnement qui nous rappelle fort notre Bum chromé. D'autant plus sympa que les baleines abondent, par couples, par familles, par troupeaux, nous faisant à tour de rôle pendant une bonne heure leur spectacle de jets d'eau, de courses-poursuites, de sauts hors de l'eau et du puissant et sonore battement de leurs énormes queues. De retour au port, nous prenons un verre et une bouchée dans un bar-restaurant trop résolument pittoresque, pour un résultat assez décevant.
Dimanche et lundi, l'escale d'Honolulu est presque un anti-climax. Les excursions proposées ont un contenu touristique et promotionnel flagrant, ou (notamment toutes celles qui tournent autour de la Bataille de Pearl Harbour) visent directement nos co-voyageurs américains. Impossible aussi de trouver une voiture avec un chauffeur ou un guide francophone, ce qui aurait été notre meilleure chance de sortir des sentiers battus.
Nous nous contentons donc d'une ou deux balades en taxi à travers la ville, une métropole tropicale pimpante mais presque entièrement ultra-moderne, en particulier le quartier de la fameuse plage de Waikiki. Avec quelques arrêts pour effectuer des achats dans des centres commerciaux regorgeant de produits de luxe. La seule chose qui nous frappe vraiment est le caractère extraordinairement métissé de la population, qui paraît entièrement composée de minorités: polynésienne, américaine blanche et noire, japonaise, chinoise, vietnamienne, philippine, etc.
Du reste de l'île nous ne verrons rien... mais des passagers européens qui se sont tapé plusieurs des excursions touristiques nous diront que nous n'aurons pas raté grand-chose qu'on ne peut pas voir, souvent en plus authentique, dans le reste de l'archipel.
Mardi, la dernière escale hawaiienne nous a fait accoster à Kauai, «l'île jardin» extravagamment fleurie. Marie-José se sentant fatiguée des quatre jour précédents, je pars seul à bord d'une sorte de taxi-pays qui m'emmène traverser la petite ville principale de Lihue puis remonter la côte est jusqu'à l'embouchure de la jolie rivière Wailua. Au retour, je m'arrête à la plage de Kalapati, où j'ai enfin la chance de piquer une tête dans le Pacifique. L'eau est bonne, mais plus fraîche qu'aux Antilles, le sable aussi fin mais d'un jaune assez foncé.
Nous levons l'ancre en fin d'après-midi, pour mettre le cap au sud, vers l'équateur et Tahiti.

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