27 janvier 2014

Du Paradis impossible à Jules Verne

Rarotonga, vue du large, ça semble une sorte de Paradis perdu ou, du moins, improbable. La «capitale» des Îles de Cook est une petite île verdoyante relativement montagneuse et très compacte (ni baies profondes, ni promontoires avancés, ni longues pointes) bordée de plages éclatantes de blancheur dorée et étroitement enserrée dans une ceinture de récifs coraliens percée de quelques passes si étroites que même notre modeste Seabourn Sojourn est incapable de les emprunter.
Pas d'édifices élevés ni «modernes» (la loi locale interdit de construire plus haut que les frondaisons d'un cocotier!), pas d'industries, pratiquement pas de pollution; une vie à l'ancienne au milieu d'une nature généreuse — le seul anachronisme à rebours étant un aéroport par lequel s'écoulent les exportations de fruits, légumes et produits marins d'une qualité renommée. Ce qui suffit apparemment, conjugué avec un tourisme modeste et peu apparent, à assurer une vie confortable et sans le moindre stress aux quelque 13000 habitants — le pays tout entier en compte à peine 20000.
Nous nous arrêtons donc en pleine mer, à quelques encablures du miroir lapis-lazuli du lagon, et ce sont des navettes orange qui cabriolent joliment sur les vagues bleu outremer pour emmener à terre les passagers de la croisière. Malheureusement pour nous, une houle croisée au large rend l'embarquement assez mouvementé, trop pour l'équilibre encore chancelant de Marie-José. Nous nous contenterons donc de quelques photos prises à distance, alors que nous nous faisions une fête de parcourir l'Ara Tapu, la «route sacrée» qui ceinture l'île, et d'emprunter une barque à fond de verre pour admirer la faune et les coraux du mini-lagon de Muri.Tant pis.
En soirée, agréable spectacle de Heather Clancy, mezzo-soprano de qualité aux goûts éclectiques. En plus d'extraits de Carmen, de la Traviata, de Cosi Fan Tutte et de Porgy and Bess, elle interprète quelques airs de jazz, de comédie musicale et même un rock des années soixante.
Le lendemain, souper sur le pont à côté de la piscine avec Dimitri, un des musiciens de l'orchestre de bord. Français — originaire de la région parisienne, son père habite près de Toulon —, il s'est installé depuis quelques années à New York où il rêve de faire jouer une comédie musicale de sa composition. 
Au menu, de jolies mousses de saumon fumé et de foie de poulet, puis d'excellentes côtelettes d'agneau grillées sauce béarnaise. Pour moi, le chef Graeme a prévu une «traite» exceptionnelle: un véritable haggis ( hachis de tripes de mouton admirablement parfumé) servi traditionnellement avec des «mash» de pommes de terre et de navet, pour lequel il a fait venir les ingrédients d'Écosse. C'est une merveille que j'avais découverte il y a cinq ans à Édimbourg, dont c'est le plat emblématique, et dont je rêvais depuis.
On nous a remis la liste des passagers qui effectuent au complet le World Tour jusqu'à Venise le 1er mai. Parmi les 76 «survivants» (sur un total de 415 voyageurs à bord), il n'y a qu'un autre couple francophone, les Suisses de Neuchatel avec qui nous avons sympathisé à quelques reprises. Tous les autres débarquent en cours de route, en Australie, à Hong Kong ou en Inde. Mais j'imagine qu'il va en embarquer d'autres pour combler les vides...
Aujourd'hui, nous perdons une journée en traversant la ligne internationale de changement des dates: nous passons donc directement du 27 au 29 janvier. Cela me rappelle paradoxalement un des émerveillements de mes lectures de jeunesse, le coup de théâtre final du «Tour du monde en 80 jours» de Jules Verne, quand Phineas Fogg découvre qu'en effectuant son périple en sens contraire, il a gagné une journé supplémentaire, ce qui lui permettait de remporter son pari.
Terminé, le vagabondage dans les Îles du Pacifique. Nous sommes en mer pour encore trois jours, jusqu'à Auckland, Nlle-Zélande. Donc, tout le temps de nous reposer... et de me prendre pour le Gauguin du balcon de la cabine #511.

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