07 janvier 2014

Tout le monde (presque) à bord

Du haut du "Sky Bar" au 10e étage du Seabourn Sojourn, rien d'autre à voir que la noire infinité du Pacifique nocturne, éclairée par un mince croissant de lune et par les trois vers de Heredia "Ou penchés à l'avant des blanches caravelles Ils regardaient monter dans un ciel ignoré Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles".
Comme aux Conquérants du poète, il nous aura fallu quelques péripéties pour en arriver là. Les réservations pour notre quasi-tour du monde en croisière de haut vol, de la Californie à Venise, étaient faites depuis l'été. Mais comme dans tous les grands projets (celui-ci ayant comme prétexte de marquer nos cinquante ans de vie ensemble), le diable était dans les détails.
Premier diablotin, le fait que la montée à bord se faisait à Los Angeles, LA métropole que quarante ans de pratique périodique m'avaient appris à détester cordialement. Pour le contourner, Azur a eu l'idée géniale de proposer que nous invitions ma soeur Marie (et son compagnon Jean) à célébrer sa sixième décennie en même temps que le Nouvel An à San Francisco, une de nos villes chouchous qu'eux ne connaissaient pas. De cette façon, nous pourrions vagabonder à loisir à Frisco, puis prendre une navette qui nous déposerait en une petite heure à quelques encablures de notre port d'embarquement. Sitôt dit, sitôt fait — sauf qu'en retour de courrier, Seabourn nous a avisés qu'il fallait nous présenter la veille du départ... à Beverly Hills, LA plus tape-à-l'oeil des dizaines de municipalités agressivement autoroutières qui forment le patchwork angelino. Eurk.
Deuxième diablotin, le valet porte-bagages. C'était aussi en apparence une formule magique, qui nous permettait d'expédier directement nos valises de Montréal à bord du paquebot, nous laissant la liberté de voyager tout légers de Dorval à Frisco puis à Los Angeles. Mais nous n'avions pas tenu compte de la paranoïa douanière américaine, selon laquelle aucun liquide, aucun article de toilette, aucun appareil électronique ne pouvait transiter de cette manière.
Il a donc fallu de longues et féroces négociations pour parvenir à inclure dans nos sacs mon CPAC (apnée du sommeil oblige) et surtout mon chevalet de peintre, mes pinceaux, toiles et acryliques chéries. L'agent de voyage qui gérait le dossier au nom de Seabourn a failli en crever de rire!
Mais le vrai Satan avait le rictus féroce de Krishna et résidait à la Haute Commission (ambassade) de l'Inde à Ottawa. C'est lui qui guettait au coin du bois, tel un tigre tapi dans un récit de Kipling, les malheureux qui devaient impérativement obtenir un visa pour les trois petites étapes dans son fabuleux pays. Embuscade d'autant plus efficace qu'à notre dernier passage en 2005, il n'avait même pas été question de visa, le passeport du Canada (membre du Commonwealth) suffisant amplement.
C'est donc une quinzaine avant Noël que nous nous sommes mis en catastrophe à remplir les moult formalités requises. Non seulement fallait-il plonger dans nos généalogies (nous avons été particulièrement créatifs quant à la date de naissance du grand-père maternel d'Azur), mais encore le seul fait de fournir des preuves de résidence à Montréal, où nous résidons à peine depuis cinquante ans, s'est avéré lourd de périls cachés. Imaginez que nos fournisseurs de services (Hydro, Bell, Vidéotron etc.) n'avaient pas ajusté leur facturation aux dernières exigences de Postes Canada, si bien que les adresses sur les pièces que nous avons fournies étaient irrecevables à New Delhi.
Par chance, le Mouvement Desjardins, lui, faisait preuve d'un admirable zèle citoyen et postier... à condition que nos amis indiens finissent par accepter qu'un rapport mensuel de Caisse Pop réponde à la définition de "compte de service public". L'esprit de Noël aidant sans doute, ils s'y sont résignés.
Dernière étape du safari à travers la jungle administrative indienne, les photos. Celles qui ornaient nos récents passeports français étaient inacceptables. Un second jeu pris en pleine tempête de neige devant un mur blanc de notre appartement s'est avéré (défense de rire) "trop ensoleillé". Il a fallu une véritable expédition chez un photographe de Place Versailles à travers une autre bordėe de neige l'avant-veille de Noël pour parvenir à satisfaire les exigences esthétiques de nos interlocuteurs.
Mais là, bien sûr, il était trop tard pour que nous recevions nos passeports dûment visés à temps pour le départ. C'est notre débrouillardise, combinée aux efforts admirablement désespérés d'Olga Birsa, l'agente de CIBT qui pilotait notre dossier, qui nous a offert in extremis une voie de sortie plutôt risquée. Pendant que nous prenions les mesures nécessaires pour entrer aux USA avec nos passeports français (pas si évident, à croire que Washington a échangé sa position près du Potomac pour le rivage de l'Indus), Olga bravait la tempête et le nonchaloir diplomatique qui engluaient la semaine entre Noël et le Nouvel An pour obtenir que les précieux visas nous soient transmis sur la Côte Ouest avant l'embarquement maintenant imminent.
Je laisse le suspense durer jusqu'au prochain chapitre...


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