07 janvier 2014

"I left my heart..." (air connu)

Le dimanche après Noël, nous nous mettons enfin en route, non sans quelque inquiétude, pour la Californie. Nos passeports canadiens étant toujours égarés dans les taillis administratifs de l'Inde, c'est déguisés en citoyens franco-européens — bonne chose, la double nationalité — que nous nous présentons à l'embarquement d'Air Canada.
Oups! Contrairement aux affirmations consulaires, il nous faut une sorte de visa appelé ESTA pour passer la frontière. Long formulaire électronique à remplir et coût modeste, passage carillonnant (à cause de mes genoux en acier chromé) dans les portails de sécurité, nous finissons par être en règle pour retrouver Marie et Jean devant la porte de l'avion.
Vol sans histoire et sans escale (quoique retardé d'une heure), il fait nuit noire quand le taxi nous dépose à l'entrée grandiloquente du Westin St. Francis, directement sur Union Square, en plein coeur de San Francisco. Nos chambres, aux 12e et 16e étages de la nouvelle tour du vieil hôtel emblématique, sont confortables mais n'offrent sur la ville qu'une vue assez décevante. Je préférais de loin celle du moins prétentieux Huntington de Nob Hill, où nous logions il y a quatre ans mais qui est aujourd'hui fermé pour rénovations.
Pour nous consoler, nous rejoignons nos compagnons au très animé Clock Bar du rez-de-chaussée, où des digestifs répétés (remarquable margarita astucieusement choisie par ma petite soeur) nous font veiller jusqu'à l'équivalent montréalais de quatre heures du matin. Vieux, un peu éméchés mais pas encore séniles!
Après un déjeûner tardif, nous mettons le nez dehors pour découvrir un temps fabuleux: plus de vingt degrés au grand soleil, sans le moindre soupçon de l'habituel brouillard hivernal san-franciscain. Assez bizarrement, une patinoire en plein air a été implantée au pied de l'arbre de Noël géant d'Union Square, sur laquelle se dépensent en efforts comiquement maladroits des famille visiblement peu expérimentées dans l'art de circuler sur lames d'acier. Mon beau-frère Jean, patineur émérite, a grand-peine à se retenir de pouffer de rire.
Lui et Marie décident de partir explorer à pied. Azur et moi, plus habitués à la ville (et plus paresseux, l'âge aidant), nous contentons de prendre un bus touristique à impériale, dont le beau temps rend l'usage parfaitement agréable. Le Civic Center rénové, Haight-Ashbury maintenant plutôt bon chic-bon genre, Pacific Heights, le Presidio, le pont Golden Gate — panorama à couper le souffle sur Alcatraz et la Baie, grâce au climat exceptionnel pour la saison — et retour par Lombard, Ghirardelli, Fisherman's Wharf et North Beach jusqu'au "Club de la Presse", près de Chinatown, où nous jetons un coup d'oeil aux journaux français de l'avant-veille par-dessus une bonne soupe à l'oignon.
Retour au quartier chinois pour un pantagruélique souper à quatre à l'"Oriental Pearl" sur Clay St. Amuse-gueule aussi délectables qu'originaux, soupe au Dungeness crab, succession de plats remarquables (pétoncles à l'ail, canard laqué, porc au gingembre, riz goûteux)... 
Nous avions prévu de nous retrouver mardi soir pour un mini-réveillon de la Saint-Sylvestre au champagne, mais les excès de la veille nous ont incités à la modération. 
C'est donc le midi du Jour de l'An même que nous nous sommes rejoints pour aller célébrer l'anniversaire de Marie dans ce qui allait s'affirmer comme le clou du séjour. Une miraculeuse inspiration m'avait pris de nous sortir de la ville en réservant dans un fameux restaurant de fruits de mer de Sausalito, Scoma's.
Trois quarts d'heure dans le taxi d'une charmante mexicaine nous ont amenés à travers le Golden Gate jusqu'au Waterfront de l'ancien port de pêche devenu villégiature cossue, où les parents de notre vieil ami défunt Jean-Marie Deschamps tenaient jadis un petit hôtel mythique, la Casa Madrona.
Scoma's est une modeste et pimpante maison de clapboard bleu et blanc entourée d'une jolie terrasse, juchée sur pilotis au-dessus des eaux de la Baie de San Francisco, sur laquelle ses larges fenêtres offrent une vue aussi sereine qu'admirable.
Après une courte attente au bar (la place est bondée, avec une sérieuse file d'attente sur le trottoir), nous héritons de LA table idéale tout derrière, spacieuse et faisant face aux baies vitrées donnant sur le plan d'eau azur peuplé de nonchalants voiliers blancs. Pendant que nous absorbons les merveilles du paysage, défile sur la nappe une procession de fruits de mer gastronomiques à l'Américaine: calamars sautés à l'ail et aux herbes, chowder au crabe, salade d'arugula, noix et mangue, puis feuilleté magnifique et succulent de crustacés, pâtes aux crevettes et pétoncles dans une sauce onctueuse au zinfandel, poisson grillé sauce aux agrumes. Avec deux bouteilles d'un bon champagne blanc de blancs américain, un enchantement. De retour à l'hôtel, un arrêt au bar pour cognac et chartreuse verte couronne une journée de rêve.
Jeudi, notre dernier jour à San Francisco nous a présenté une tout autre expérience, quoique fascinante aussi à sa façon. Nous prenons peu après midi un taxi avec Marie et Jean vers les fameuses murales populaires de la 24e rue, à l'extrémité du vieux quartier Mission. Le jeune chauffeur plutôt branché nous suggère une très bonne pizzeria en chemin. 
L'endroit, sur la 18e près de Valencia, ne paie pas de mine, intérieur exigu et chaises de plastique sur le trottoir, sans compter une file d'attente impressionnante. Il faut inscrire nos noms sur un tableau noir à l'entrée, dans l'ordre d'arrivée. Ensuite, ça prend trois-quarts d'heure pour nous retrouver assis, presque entassés, autour d'une table exiguë dehors, à deux pas d'une rue passante — exactement le contraire de l'expérience de la veille. 
Mais le personnel (patronne latino, jeune serveur noir barbu) est charmant, et la bouffe explique à elle seule la queue à la porte. Fabuleuse soupe crémeuse aux penne et fagioli, moules savoureuses pour Azur, deux pizzas — lard-arugula et fruits de mer-chorizo — délectables au pourtour très gonflé mais au fond très mince. Assez copieuses que nous avons décommandé la troisième. Le tout avec un splendide rouge italien des Pouilles recommandé par le serveur.
Un nouveau taxi nous emmène à la 24e rue, où nous parcourons quelques-unes des murales (effectivement fort originales) avant de déposer Jean et Marie, qui veulent faire le reste de la visite à pied. Retour somnolent à Union Square.
Vers 19h, Azur en a assez de la chambre d'hôtel, veut descendre prendre un digestif. Je la convaincs de plutôt monter jusqu'au Mark Hopkins sur Nob Hill, où le célèbre Top of the Mark du 19e étage offre une vue incomparable sur la nuit de Frisco... en plus de cocktails somptueux. Margarita pour moi, cognac Martell Blue Ribbon pour Marie-José, un précieux moment de détente et une bonne façon de conclure cette heureuse escale.

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