10 avril 2014

Parenthèse Québec

Ce n'est pas que j'en aie très envie, mais les tristes nouvelles électorales québécoises semblent avoir suspendu mes ardeurs pour le récit de voyage — j'ai l'impression que tant que je n'y aurai pas réagi, ma plume restera paralysée pour aborder les intéressantes péripéties des escales indiennes des tout derniers jours.
Disons d'abord que le résultat catastrophique était hélas prévisible. Une petite crête pas très explicable dans les sondages, sans véritable projet ni nécessité perçue, n'est jamais une bonne base pour déclencher un scrutin — mes souvenirs de vieux journaliste politique m'en fournissent trop d'exemples. Mme Marois aurait mieux fait de s'en tenir à son principe d'élection à date fixe.
Ajoutez à cela que le prétexte choisi, une «charte des valeurs québécoises» qui prêtait fortement à controverse, si bonnes qu'aient pu en être les intentions, était pour le moins risqué. Et Pauline Marois, pas mauvaise du tout comme première ministre, a démontré de si piètres qualités comme «campaigner» que la fois précédente, elle avait failli transformer en défaite serrée ce qui réunissait toutes les conditions d'une ample victoire.
Que le résultat soit catastrophique pour le Parti québécois va de soi, et pas seulement en termes de nombres. Son projet est de plus en plus embrouillé et s'avère de moins en moins convaincant, du moins tel que présenté, pour les nouvelles générations et les nouveaux venus.
Sa clientèle se trouve réduite à un dernier carré central qui lui offre peu de potentiel de croissance, sa droite ayant été avalée par la CAQ et sa gauche étant grugée petit à petit par Québec Solidaire... probablement sans espoir de retour. Elle est, de plus, vieillissante — alors que le parti avait jusqu'ici représenté la jeunesse et l'avenir —, son personnel dirigeant de même. La nature même de sa «cause» réclame un leader naturel et enthousiasmant, et si le PQ croit l'avoir trouvé en l'homme d'affaires Pierre-Karl Péladeau, ma conviction est qu'il s'enfoncera dans un cul-de-sac, peu importent les qualités (et les défauts) de l'homme.
Mais ce n'est pas le sort d'un parti qui m'attriste le plus. C'est le constat que les idées progressistes qui devraient convaincre et enflammer la masse populaire à qui elles profiteraient ne font plus recette. Est-ce dû à leur nature même (comme partout au monde ou presque, les débats politiques au Québec ont perdu tout contenu idéologique dans le bon sens du terme) ou au langage souvent académique et «codé» dans un vieux vocabulaire de gauche de ceux qui les défendent, en l'occurence les porte-drapeaux pourtant admirables sous d'autres aspects de Québec solidaire? Le fait que plus de gens déçus du PQ se soient laissé séduire par la rhétorique vide et simpliste mais prétendûment «moderne» d'un François Legault totalement anachronique parle de soi.
Je regrette aussi, bien sûr, le dur coup porté au projet de pays. Personne ne semble vouloir refaire la démonstration, pourtant relativement facile et plus nécessaire que jamais, que le seul avenir positif pour le Québec repose dans l'indépendance la plus complète possible face à l'alarmante dérive vers la droite passéiste néo-américaine du Canada de Stephen Harper.
De fait, je persiste à croire que, comme je l'écrivais il y a plus de vingt ans dans «Le Simple bon sens» et comme Amir Kadir a semblé le dire en campagne (sans être compris, bien sûr), la souveraineté du Québec et les inévitables tractations qui s'en suivraient avec le reste du pays sont ce qui pourrait arriver de mieux au Canada même: quelle qu'en soit l'issue, c'est la seule façon efficace de briser le carcan constitutionnel vétuste que nous a légué Pierre Elliot-Trudeau.
Face à ces désolants constats, y a-t-il un peu de positif à tirer de ce qui s'est passé ces jours-ci chez nous (et dans l'autre chez nous qu'est la France, au lendemain d'élections locales qui pourraient donner lieu à une analyse similaire où la relation France-Europe remplacerait celle de province-pays)? La réponse, curieusement, est que oui.
Comme le notait avec acuité sur Facebook l'ami Jean Carette, il se peut que ces tristes scrutins soient l'indice d'une nouvelle méfiance justifiée des électorats envers nos vieux schèmes politiques bourgeois élitistes. On peut alors les apparenter à l'avertissement un peu cryptique qu'avait été, il y a trois ans au Québec, le brutal remplacement d'un Bloc québécois désuet par un NPD entièrement imprévu. Et aux soudaines alternances droite-gauche et vice versa qu'on constate presque à chaque coup, dans l'ensemble des pays occidentaux, depuis la catastrophe économico-politique de 2007-2009.
Ces résultats ne sont pas, quoique veuillent le prétendre les commentateurs établis, «accidentels». Ils ont comme élément commun frappant que les renversements d'allégeance sont brusques et dépassent de loin, statistiquement, ceux qu'on constatait dans tous les mêmes électorats depuis des décennies. Comme si les masses de citoyens sentaient instinctivement qu'aucune des cliques politiques en présence n'avait ni perception claire ni solution appropriée pour les crises que nous traversons. Mais puisqu'on ne leur offre aucun mécanisme alternatif pour y faire face, ils doivent se rabattre sur de simples changements de personnel dont ils devinent confusément qu'ils ne changeront rien au fond.
Si c'est le cas, on peut espérer (ou craindre?) dans le moyen et long terme que ces mouvements de portes tournantes ou de chaises musicales ne soient que le prélude à des bouleversements politiques autrement plus profonds, comparables à ceux de l'ère des Révolutions de la fin du 18e siècle au début du 20e. Avec l'émergence d'un nouveau mode de fonctionnement entre le peuple et le pouvoir dont nous n'avons même pas encore l'intuition.
Vous pourrez bien m'accuser de jouer les Cassandre... et vous n'aurez pas tout à fait tort. Mais ma défense est que, comme Cassandre, je ne fais pas exprès pour prévoir sinon le pire, du moins le plus dramatique: en vieillissant, on dirait que ma vision s'aiguise sur le long terme. Et n'oubliez pas que les prévisions de Cassandre avaient la fâcheuse habitude de se réaliser.
Malheureusement ou pas, je ne m'attends pas à vivre assez longtemps pour savoir si moi aussi, j'avais raison...


Aucun commentaire: