01 avril 2014

Aux trois-quarts du chemin...

Mine de rien, les trois-quarts du voyage sont accomplis... et sans le faire exprès, nous commençons à regarder derrière autant que devant. «La femme qui va débarquer à Venise n'est pas tout à fait la même qui s'est embarquée à Los Angeles», philosophait hier Azur, parlant pour nous deux.
Bien sûr, ce n'est pas fini, mais depuis Singapour samedi dernier, nous nous retrouvons plus ou moins en terrain connu. Les escales ne sont pas toutes les mêmes, mais nous avions déjà fait en gros la même route en sens inverse (Alexandrie à Singapour) il y a neuf ans, et la partie méditerranéenne (Turquie à Venise) deux ans plus tôt.
D'ailleurs, la journée à Singapour a bien marqué ce virage. Au lieu de tout découvrir, nous avions tendance à remarquer les seuls changements survenus: un audacieux téléférique vers l'île redéveloppée de Sendosa par-dessus le port, et surtout ces cinq immenses nouveaux gratte-ciels sur la rive, aux armatures visibles et aux corps déformés comme s'ils avaient été tordus par les jeux d'un géant espiègle.
Comme à Hong-Kong, la gare maritime est en réalité un immense centre commercial, peut-être un peu moins somptueux. Le manque de repères facilement visibles est sûrement voulu, pour inciter le touriste nouvellement arrivé à se perdre parmi les centaines de boutiques de Harbour Front One et de Vivo. Singapour demeure, et ne s'en cache pas, le «shopping mall» de l'Asie comme Hong-Kong en est le guichet bancaire.
Nous avons constaté, dans la matinée consacrée à l'activité locale par excellence, que les prix ont cependant grimpé et se rapprochent de plus en plus de ce qu'on paierait en Europe ou aux USA pour les mêmes produits. Les marchands, eux, demeurent à la fois beaucoup plus attentionnés et plus accrocheurs que leurs confrères occidentaux. Au lieu de chercher un restaurant typique en ville comme nous en avions l'intention, nous sommes rentrés manger à bord comme de sages petits passagers de croisière...
Dans l'après-midi, je suis reparti seul chercher quelques gadgets (dont ces foutues cartouches d'imprimante dont je découvre qu'elles n'existent qu'en Amérique du Nord!) et j'en ai profité pour me balader dans l'ancien quartier «colonial» autour de la blanche cathédrale anglicane et de notre ancien hôtel Raffles; l'ensemble conserve le même charme à la fois animé et détendu. L'incontournable Poste de pompiers principal ultra-victorien demeure aussi amusant, même si je me rends compte cette fois-ci qu'il ressemble comme un frère à ceux, récemment rénovés, du Vieux-Montréal.
Le fleuve qui serpente à travers le sud de la ville est toujours bordé à l'embouchure des mêmes monuments très «british», et plus haut du village de pêcheurs reconverti en quartier branché de bars, bistrots et terrasses. Les anciennes boutiques aux prix cassés ont pris du chic et de l'embonpoint... leurs prix de même.
Avant l'arrivée, nous étions déçus de ne rester ici qu'une journée (nous y avions jadis passé une semaine mémorable), mais quand est venue au crépuscule l'heure du départ, nous en avons été presque soulagés. C'est donc sans un soupçon de regret que nous avons pu jouir du spectacle unique d'un flamboyant coucher de soleil sur l'immense port.
Le seul regret, de fait, aura été de laisser à Singapour plus de la moitié de nos co-voyageurs... qui sont remplacés par presque autant de figures inconnues. Un autre signe de notre changement d'attitude est le fait qu'au lieu de chercher activement à faire de nouvelles connaissances, nous tendons à nous rabattre sur les «survivants» des escales précédentes, en particulier ceux qui, comme le vieux Tom, nos voisins les Norman et le couple suisse Esther et François, s'étaient embarqués avec nous en Californie.
Le lendemain soir, sympathique concert du baryton gallois Andrew Stewart-Lloyd, qui mélange habilement arias d'opéra, opérette, comédie musicale américaine et airs de son pays. Nous avions fait connaissance la semaine dernière dans la piscine, dont nous étions alors les seuls occupants. C'est une sorte de géant bon vivant à la Falstaff, qui me dépasse d'une bonne demi-tête... et d'au moins deux trous de ceinture!
Il a fait le gros de sa carrière dans le circuit classique traditionnel, mais depuis quelques mois il se reconvertit dans le créneau peut-être moins glorieux, mais moins contraignant, des spectacles de croisière. «Après des décennies d'ascèse et de perpétuelle tension, m'a-t-il expliqué, j'avais envie de vivre un peu pour moi... et de choisir ce que je chante, au lieu de subir les diktats de directeurs d'opéras et de chefs presque tous capricieux. La vie à bord me plaît. Et je découvre que j'ai un talent d'amuseur et de raconteur que j'ignorais et qui est fort utile dans ce nouveau rôle...»
De Phuket hier, rien à dire puisque nous sommes restés à bord soigner notre digestion mise à mal par une attaque légère de gastro — une épidémie qui sévit à bord, mais dont nous avons heureusement évité le pire: notre copain musicien Dimitri, lui, a passé trois jours au lit! 
De toute façon, il n'est pas évident que nous serions descendus rendre hommage à ce temple du tourisme semi-chic; l'île a 350 000 habitants... et accueille plus de cinquante millions de visiteurs par an. Elle pouvait sûrement se passer de notre apport. Notre Sojourn n'était d'ailleurs qu'un des cinq ou six paquebots de croisière (tous sauf un plus gros que nous) à y faire escale la même journée.
Cap sur le Sri Lanka et Colombo dans trois jours, après la célébration (modeste) demain de notre cinquantenaire de vie commune!

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